Stéphane Chaudesaigues

Tatouage, gastronomie & terroir en Cantal – Le blog vivant de Stéphane Chaudesaigues

Alban et les Apaches de Paris : revisiter une époque en la tatouant

dimanche 23 février 2014
Alban et les Apaches de Paris : revisiter une époque en la tatouant

Je n’avais pas prévu de retomber un jour sur les Apaches de Paris. Et puis Alban est arrivé avec une idée en tête et une vieille illustration du Petit Journal. Comme souvent, tout est parti de là : une image, une ambiance, un morceau d’histoire populaire qui te saute au visage comme si quelqu’un avait arraché une page du passé pour la poser sur la table.

Quand j’ai vu cette illustration, je suis parti au quart de tour.
Ces silhouettes, ces ombres, cette tension… c’est exactement le genre de matière qui parle à un tatoueur. Pas pour le folklore. Pour ce que ça raconte.

Entrer dans l’histoire avec une aiguille

Avec Alban, on n’a pas fait un tatouage pour “faire joli”.
On a cherché à comprendre ce que représentait vraiment cette époque, ce que ces jeunes incarnaient, ce que la ville refusait de voir.

On a choisi le niveau de gris, les ombres, le regard.
Parce que ce projet n’appelait ni la couleur ni l’excès.
Il appelait une atmosphère.
Une vérité, même si elle dérange.

Les Apaches : une jeunesse que Paris ne voulait pas regarder

Quand on relit les journaux de 1907, on comprend vite comment on fabrique un mythe.
“L’Apache est la plaie de Paris.”
“Plus de 30 000 rôdeurs.”
“70 000 jeunes qui terrorisent la capitale.”

La presse adorait provoquer la panique pour vendre du papier.
Mais derrière l’exagération, il y avait une réalité : une jeunesse pauvre, abandonnée, marginalisée, qui survivait comme elle pouvait.

C’est cette ambiguïté-là que j’ai voulu traduire.
Pas une bande de voyous romantiques.
Pas des monstres non plus.
Juste des gamins perdus dans une époque violente.

Quand les bougnats croisaient les Apaches

Il faut être honnête : tout n’était pas cloisonné.
Dans certains quartiers, les bougnats, les Auvergnats, les ouvriers, les marlous et les Apaches partageaient les mêmes rues, les mêmes zincs, les mêmes recoins de la nuit. La misère rapproche, confond et mélange des mondes qui n’auraient jamais dû se croiser autrement. Certains travaillaient dur, d’autres survivaient comme ils pouvaient, et les journaux, eux, mettaient tout dans le même panier pour nourrir leurs récits.

Mais ce n’est pas cette confusion qui m’intéresse aujourd’hui.
Ce qui compte, c’est la trace que cette époque a laissée dans l’histoire du tatouage.

Le tatouage comme mémoire d’une époque

Dans ce projet, je n’ai pas tatoué un “voyou”.
J’ai tatoué un symbole.
Un rappel de ce que deviennent les histoires quand on ne les raconte pas correctement : des caricatures.

Cette imagerie brute, née des faubourgs, des bandes, des marges et des bagnes, a nourri une partie de la culture tatouée. Ce n’est pas mon héritage familial, mais c’est une mémoire du métier.
Une trame qui réapparaît quand je travaille sur ces codes, ces ombres, ces silhouettes venues d’un autre siècle.

Le tatouage, ici, sert à remettre un peu d’humanité là où l’Histoire n’a laissé que des silhouettes.
C’est pour ça que je fais ce métier.
Pour ce que l’image permet de faire remonter.

Une époque qui n’est pas si loin

Quand on regarde de près, beaucoup de choses n’ont pas changé.
On stigmatise toujours les mêmes milieux.
On confond toujours pauvreté et violence.
On cherche toujours un coupable avant de chercher à comprendre.

L’histoire des Apaches n’est pas un chapitre poussiéreux.
C’est un miroir.
Et, grâce à Alban, j’ai eu l’occasion de le tenir un instant entre mes mains.