Mont d’Or, Vin jaune et un verre d’Apremont : l’hiver a ses façons d’entrer

Mont d’Or, Vin jaune et un verre d’Apremont : l’hiver a ses façons d’entrer Les signes de l’hiver Je reconnais l’approche de l’hiver à de petits signes : la buée sur la vitre au matin, la lumière plus basse à l’heure du service, les voix qui se posent plus près, comme pour se tenir chaud.

Il y a, surtout, ce parfum boisé qui s’échappe du four quand on ouvre la porte : le Mont d’Or a fondu.

À ChaudesAigues, c’est un signal que j’aime. Il dit « rassemblement ». Il dit « prends place ». Il dit « le terroir veille sur toi ». Un fromage de saison et de tradition Le Mont d’Or n’est pas seulement un fromage.

 

C’est une histoire que les montagnes racontent quand le froid revient. Né dans le Haut-Doubs, façonné de lait cru, ceinturé d’écorce d’épicéa, il a la douceur des choses qui réconfortent et la noblesse des traditions nécessaires.

Son calendrier serré, de septembre à mai, lui donne un charme particulier : le retrouver, c’est retrouver la saison elle-même. La préparation, un rituel précis La préparation tient en peu de gestes, mais ils sont précis.

Je creuse un petit puits, j’y verse du Vin jaune. Ce vin a quelque chose d’ancien : six ans et trois mois de patience sous un voile qui le protège et le transforme. Il apporte des parfums de noix, de pomme chaude, d’épices claires.

Au four, le Mont d’Or réagit comme un hôte bien élevé : il se tient d’abord, puis s’abandonne.

La croûte se plisse légèrement, la surface ondule. Quand je le sors, la boîte d’épicéa est tiède au toucher, et le fromage a cette respiration de crème.

Les complices du Mont d’Or Ensuite, je dresse ce que j’appelle les complices : pommes de terre grenaille rôties, luisantes ; jambon de pays tranché fin, prêt à se plier sous la cuillère ; saucisse de Morteau en tranches épaisses, charnue, fumée juste ce qu’il faut. J’apporte le tout et, sans cérémonie, je pose le Mont d’Or sur la table.

Quelqu’un rompt la croûte, quelqu’un d’autre plante une grenaille. Un fil coule, on rit, on raconte sa journée.

Parfois on oublie le froid. Souvent, on le remercie : sans lui, ce plat n’aurait pas tout à fait le même goût. L’accord du vin : Apremont en lumière Je tiens à l’accord du vin blanc d’Apremont.

Il arrive dans le verre clair, nez de fleurs blanches, pointe d’agrumes, vivacité qui lisse le gras et ravive la faim. Il donne du ressort à chaque bouchée, il répond au Vin jaune sans l’affronter, il rafraîchit et prolonge.

L’Apremont a ce talent rare : il fait aimer encore plus le plat qu’on avait déjà envie d’aimer.

Une cuisine de partage Pourquoi ce rituel me touche-t-il à ce point ?

Parce qu’il parle de famille et d’amis. On ne mange pas le Mont d’Or dans le silence de la performance.

On le mange dans le brouhaha des voix qui se coupent et se rejoignent. On pique, on partage, on recommande : « prends de la Morteau, avec la crème, tu vas voir ».

La gastronomie française est là, sans toge ni tralala : dans la précision des produits, la netteté du geste, la sincérité de l’instant. Les mains autour de la table Je regarde souvent les mains autour du plat.

Elles en disent long.

Mains qui portent l’assiette brûlante, mains qui tiennent la cuillère comme une pelle de trésor, mains qui versent un peu d’Apremont dans un verre voisin.

La table est un théâtre sans rideau : chacun entre en scène, dit sa phrase, rit, s’émeut. Le Mont d’Or est un décor mouvant, une coulée de crème qui rend tout simple.

La mémoire des produits Il y a aussi la mémoire, bien sûr. La boîte d’épicéa me raconte les forêts. La Morteau me parle d’ateliers de fumage, de gestes transmis. La grenaille me rappelle les jardins, les terres noires, le patient lavage des tubercules. Le Vin jaune convoque des caves où le temps a une odeur.

Tout cela se retrouve, discret, dans une bouchée. C’est pour cela qu’on dit terroir : parce qu’on reconnaît la terre à sa façon de se laisser manger.

Le réconfort assumé de l’hiver J’aime que ce plat soit réconfortant sans s’excuser de l’être. L’automne et l’hiver nous demandent de changer de rythme : s’emmitoufler, raccourcir le pas, chercher la chaleur.

Le Mont d’Or fait sa part. Il nous apprend la lenteur nécessaire, celle qui rend la soirée longue et douce.

Il nous apprend la gourmandise assumée — pas la démesure, non : la juste abondance. Quand le plat a rempli sa mission Quand la dernière pomme de terre a disparu, qu’il reste un peu de crème au fond de la boîte, je propose souvent un ultime morceau de jambon, une dernière gorgée d’Apremont.

La table tarde à se lever. C’est bon signe : le plat a rempli sa mission. Il a relié, apaisé, donné envie de revenir.

Demain il fera peut-être plus froid ; tant mieux, on aura une raison de recommencer.