Stéphane Chaudesaigues

Tatouage, gastronomie & terroir en Cantal – Le blog vivant de Stéphane Chaudesaigues

Tatouage : des bagnes aux Apaches, l’histoire populaire qu’on ne doit plus cacher

mardi 11 février 2014
Tatouage : des bagnes aux Apaches, l’histoire populaire qu’on ne doit plus cacher

Un héritage né dans les marges

Après plus de vingt-cinq ans de métier, une chose est certaine: en France, le tatouage ne vient pas des salons bourgeois ni des beaux quartiers. Il vient d’en bas. Il vient des ports, des casernes, des faubourgs. Et il vient surtout de là où la société ne voulait pas regarder. Pendant longtemps, se faire tatouer revenait à s’inscrire dans un monde dur, heurté, prolétaire. Le tatouage français est né dans la poussière, pas sur les tapis rouges.

Le bagne comme matrice sombre du tatouage français

Il faut dire les choses sans les maquiller. Une partie des origines visibles du tatouage en France vient du bagne. Toulon, Brest, Rochefort, Cayenne, Nouvelle-Calédonie. Là-bas, les prisonniers se tatouaient parce qu’on leur avait retiré tout le reste. Le tatouage devenait mémoire, résistance, vengeance parfois. Des initiales, des dates, des symboles gravés dans la peau pour survivre à l’effacement. Cette imagerie a forgé une grande partie de l’inconscient collectif autour du tatouage. Ce n’est pas une légende noire: c’est un morceau de notre histoire.

Les classes populaires et la peau comme identité

En parallèle du bagne, les marins, les soldats, les ouvriers itinérants, les forains, les gens du rail ont développé leurs propres codes. Le tatouage était souvenir, fraternité, rite de passage. Là aussi, rien d’élitiste. Le tatouage était l’expression d’un peuple qui n’avait pas d’autres moyens d’inscrire son histoire. C’était un badge identitaire avant l’heure.

Les Apaches de Paris : les premiers “tatoués visibles”

Au début du XXᵉ siècle, Paris tremble devant les Apaches. Jeunes voyous, marlous, danseurs de java et figures de la nuit, ils fascinèrent autant qu’ils effrayèrent. Certains d’entre eux portaient des tatouages, symboles de clan, d’insoumission ou de provocation. Ils furent les premiers à inscrire le tatouage au cœur des grandes villes françaises, non pas comme une mode, mais comme un marqueur social fort. Une contre-culture que les journaux caricaturaient, mais qui a contribué à installer pour toujours l’image du tatouage dans la société.

Aucune honte dans cette histoire

Avec des racines aussi dures, certains continuent de penser que le tatouage est une pratique de délinquants ou de marginaux. Libre à eux. Moi, je le dis sans détour: il n’y a aucune honte à venir de là. Cette histoire dit l’endurance, la survie, la dignité de ceux qui n’avaient rien d’autre que leur peau pour parler. On peut nous voir comme des marginaux; en aucun cas comme des parasites. Nous travaillons, nous payons nos charges, et nous contribuons à l’économie comme n’importe quel artisan.

Quand la société récupère ce qu’elle méprisait

L’ironie, c’est de voir aujourd’hui les grandes enseignes, la publicité, la mode, les agences de communication utiliser l’esthétique tatouée qu’elles méprisaient il y a encore vingt ans. L’image tatouée est devenue un outil marketing, un symbole d’authenticité, de force, de liberté. Preuve que la culture tatouée a gagné.

Le tatouage est devenu une langue commune

Aujourd’hui, tout le monde est tatoué. Des profs, des flics, des médecins, des artisans, des chefs cuisiniers, des infirmières. Ce qui était marginal est devenu culturel. Ce qui était stigmatisé est devenu un langage universel. Le tatouage n’est plus un signe d’exclusion: il est devenu un mode d’expression.

Un métier plus accessible, mais toujours difficile

Il est vrai qu’on peut apprendre plus facilement aujourd’hui. Les formations, les ateliers, les conférences ont élevé le niveau général. J’ai eu l’occasion de participer à l’un des séminaires d’Alex de Pase, figure majeure du tatouage européen. La World Wide Tattoo Conference, comme Tatouage & Partage, sont des initiatives qui ont réellement fait progresser la profession.

Deux jours face aux maîtres

Je me souviens de l’édition 2012: Nikko Hurtado, Boris, Joe Capobianco, Alex de Pase, Bob Tyrrell… et moi-même. Deux jours intensifs, salle comble, uniquement des professionnels. Deux jours d’école autour de la technique, du style, de la vision. Pas de folklore. De la transmission. Une vraie. Celle qui façonne une génération de tatoueurs décidés à travailler sérieusement.

Transmettre pour faire grandir la profession

Un métier s’élève quand ceux qui le pratiquent partagent ce qu’ils savent. Pas en gardant tout pour eux, mais en transmettant. C’est cette philosophie qui a fait évoluer le tatouage en France. Et c’est ce qui continuera d’écrire son histoire: une culture populaire, née dans les marges, devenue incontournable.