Les terres agricoles de France vont-elles devenir la chasse gardée de la Chine ?

Faut-il craindre l’accaparement de nos terres agricoles par des investisseurs chinois ? C’est la question que pose France 3 au lendemain du Salon de l’Agriculture 2019.

1 700 hectares agricoles vendus dans l’Indre

Si la chaîne de télévision publique s’interroge, c’est à cause du précédent observé en 2016 : quelques 1 700 hectares agricoles dans le département de l’Indre avaient été achetés par un homme d’affaires chinois. "Un choc qui risque de se répéter si la loi française n’évolue pas", prévient le journaliste Camille Belsoeur.

Le déséquilibre chinois

Pourquoi les investisseurs chinois seraient-ils tant intéressés par l’achat de terres agricoles hors des frontières de la Chine, 3ème pays au monde en termes de superficie ? La réponse est livrée dès les premières lignes et tient à un décalage dans les chiffres :

La Chine possède seulement 10 % des terres arables de la planète pour 20 % de la population mondiale. En Chine, il y a 0,07 hectares de terre agricole par habitant, contre en moyenne 0,21 par habitant dans le monde. C’est un pays où l’industrialisation et l’urbanisation grignotent les terres arables.

Les deux options dont dispose Pékin

Pour rétablir l’équilibre, seules deux solutions s’offrent au géant asiatique :

  • la 1ère : accroître sa production agricole
  • la 2nde : produire plus

"Pour le moment, ils cherchent à augmenter leur volume d’importation", témoignait le chef du service des études économiques de l’Assemblée Permanente des Chambres d’Agriculture à Paris Thierry Pouch à l’occasion du dernier Salon de l’Agriculture, tenu du 22 février au 2 mars 2019. "Mais les Chinois étendent aussi leur outil de production par le rachat de terres à l’étranger", poursuivait-il.

Dans le viseur du géant asiatique : l’Afrique et la France

Cette voracité pour les terres agricoles étrangères s’observe sur le continent africain, mais également peu à peu sur les terres françaises. Préoccupés, les paysans de l’Indre s’étaient mobilisés contre une initiative ressentie comme une ingérence. En août 2018, "plusieurs centaines d’agriculteurs s’étaient rendus sur les terres acquises par Beijing Reward International Trade, une filiale du groupe China Hongyang", rapporte le journaliste.

Un flou qui entoure les pratiques d’achat chinoises

L’une des raisons de la colère des agriculteurs est l’opacité inhérente à l’achat de ces parcelles par Pékin. "La Chine n’est pas le seul pays étranger à acheter des terres en France", concède Mary-François Renard, chercheuse responsable de l’Institut de recherche sur l’économie de la Chine à l’université de Clermont-Ferrand. "Mais il y a souvent beaucoup d’opacité autour de ces acquisitions", prévient-elle.

Objectif : du pain made in France

Sommé de s’expliquer, le patron du fonds chinois concerné avait finalement accepté de préciser la nature de son projet. Et dans le cas de l’Indre, la pomme de discorde était plutôt… du pain. "Nous voulons faire de la Chine un marché pour le pain à la française", annonçait Hu Keqin, "et ces terres sont au service de cet objectif : nous venons d’ouvrir un premier magasin à Pékin et nous visons 1 500 boulangeries dans tout le pays d’ici 5 ans, proposant des pains préparés avec de la farine importée de France".

De jeunes paysans français menacés

Mais le problème, prégnant lors du dernier Salon de l’Agriculture, c’est bien celui-ci : un investisseur, parce qu’il est prêt à payer à prix fort une terre étrangère pour se bâtir une image commerciale, doit-il pour autant menacer l’accès à la terre de jeunes paysans français qui ne jouissent pas des mêmes pouvoirs financiers ?

Le fléau de la spéculation

Pour le porte-parole de la Confédération paysanne de l’Indre Nicolas Calame, l’enjeu est plus complexe : "Notre objectif est que la terre soit aux paysans. Que ce soit un Chinois, ce n’est pas forcément un problème. Ce qui nous dérange, c’est davantage les investisseurs qui spéculent sur nos terres", assène-t-il.

Une loi peu protectrice

Car en la matière, l’État français protège mal ses administrés… voire ne les protège pas du tout. Le journaliste Camille Belsoeur s’en explique :

Dans l’Indre, puis dans l’Allier où les mêmes investisseurs avaient acquis 900 hectares, le droit de préemption de la Fédération nationale des Sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural (FnSafer) a été contourné en toute légalité. Pour cela, les Chinois se sont portés acquéreur de 98 % des parts des sociétés agricoles contenant les exploitations. Or, la Safer ne peut agir que lorsque la transaction porte sur la totalité de la propriété.

Une faille juridique qui pourrait menacer d’autres départements français

Conclusion : une nouvelle loi est nécessaire pour remédier à ce qui a tout d’une faille juridique. En attendant, de nouveaux achats d’hectares par des magnats de l’agroalimentaire restent bel et bien possibles : en Centre-Val de Loire, mais aussi dans d’autres régions comme l’Auvergne.