Mallet, Fridefont, Chaudes-Aigues : la source des Chaudesaigues

J’ai lu un jour un proverbe chinois pour lequel "oublier ses ancêtres, c’est être un ruisseau sans source". Des histoires de ruisseau chez mes ancêtres, il y en a. Et jamais je ne les oublierai. Chronique de la famille Chaudesaigues à travers Mallet, Fridefont, et quelques siècles d’Histoire.

Family man

Les Américains ont une expression qu’il est difficile de traduire avec justesse en langue française : celle de family man. Un family man, pour nos voisins outre-Atlantique, c’est un homme dévoué à sa famille, qui a le sens de la conjugalité, de la filiation, de la parenté. Depuis mes premières amours et mon premier enfant, je me flatte d’être un family man – un homme qui place sa famille et ses devoirs envers elle, au-dessus de toute autre considération.

Sur la trace des eaux chaudes

C’est ce trait de ma personnalité qui, il y a de nombreuses années, m’a poussé à entamer des recherches généalogiques. Quelques pistes m’étaient déjà parvenues aux oreilles. Je savais, par exemple, qu’un certain Eusèbe Chaudesaigues, architecte de métier, avait été fait Chevalier de la Légion d’honneur au 19ème siècle. Mais quid du reste ? D’où pouvait donc venir cette famille à la bouillonnante étymologie – un patronyme signifiant littéralement Eaux chaudes ?

Un nom comme un leitmotiv : Mallet

D’archives en registres, de vagues pistes en chemins prometteurs, je suis remonté jusqu’à ce que j’aime à appeler le berceau des Chaudesaigues : Mallet. Pour beaucoup, le nom de Mallet évoque une banque historique ou un système de locomotive breveté dans les années 1880. Pour moi, il est et restera une commune qui a marqué à jamais l’histoire des Chaudesaigues… et qui, depuis, s’est abimée sous les eaux.

Etienne Chaudesaigues : du Cantal à Paris

L’ancêtre qui m’a permis de remonter jusqu’à cette Atlantide, c’est Etienne. C’est lui qui, au 18ème siècle, dressa le premier pont entre le Cantal et Paris – une passerelle que, trois siècles plus tard, je franchirais à mon tour. Etienne avait quitté Fridefont, où son père originaire du village voisin de Mallet s’était installé après son mariage pour y exercer sa charge de garde des chasses royales. Aujourd’hui, Mallet a été absorbée par cette même commune de Fridefont, à quelques pas d’où la Truyère embrasse le Bès.

Fridefont outragée, Fridefont brisée, Fridefont martyrisée, etc.

En 1789, lorsque les communes sont créées, Fridefont n’est pas présent sur la liste des collectivités du Cantal. Alors que la Révolution française vient d’éclater, Fridefont n’est encore qu’un des hameaux de Sarrus, sur la rive gauche du Bex. L’année 1830 connait un nouveau découpage, qui voit la commune de Mallet supprimée, et sa rive gauche rattachée à Sarrus. Quelques années avant la Grande guerre, nouveau rebondissement : Sarrus s’efface au profit de Fridefont. Mes recherches généalogiques m’ont appris que tous mes ancêtres venaient de ces villages tour à tour disparus, réapparus, isolés et fusionnés. Tous trouvent leurs racines dans les gorges du Bex et ses environs.

Mallet : des souvenirs sous les eaux

Aujourd’hui, l’histoire qui lie le nom Chaudesaigues au village de Mallet ne se découvre plus que dans les livres. Pourquoi ? Parce que Mallet a été englouti sous les eaux du barrage de Grandval. En 1955, alors que le besoin en énergie électrique connait un spectaculaire essor, les travaux de construction du barrage débutent. Mis en eau en 1959, il est officiellement en service l’année suivante. Cet édifice va aboutir à la création, dans les gorges du Bex, d’une retenue d’une surface de quelques 1 100 hectares. C’est elle qui aura raison de Mallet, noyée et invisible pour celles et ceux qui ne savent où chercher.

La fierté du Bès et du viaduc du Garabit

Si Mallet n’est plus, sa région directe ne manque pas de sel et de centres d’intérêt. Mallet, c’est d’abord le Bès, rivière du Massif central qui s’écoule dans les départements de la Lozère et du Cantal, affluent de la Truyère, et bras aquatique qui conduit à travers les merveilles de l’Auvergne et de l’Occitanie.

Mallet, c’est aussi un viaduc unique en son genre : celui de Garabit, conçu par Gustave Eiffel lui-même. Son allure d’édifice frêle et élancé évoque une dentelle rouge et flotte au-dessus du val. Un joyau architectural qui me rend fier que le nom de Chaudesaigues (dont l’orthographe n’a pas changé depuis au moins 1630) soit associé à la région.

Mallet, Fridefont… et Chaudes-Aigues

L’histoire des Chaudesaigues, des Jean-Étienne, des Eusèbe et autres, puise sa source à Fridefont et à Mallet… et se jette à corps perdu dans la bien-nommée Chaudes-Aigues. Les Gallo-Romains, déjà, avaient remarqué les vertus bienfaisantes des sources chaudes de ce coin montagneux baptisé Aquae Calente. D’abord attestée sous la forme latinisée de Calide Aquis en 1130 et sous sa forme occitane, Chadasaygas, en 1303, le village deviendra plus tard Chaudesaigues – sans tiret, comme mon patronyme, jusqu’en 1935. Ses habitants, eux, conserveront le gentilé de Caldaguès.

C’est dans ce village que m’ont mené mes recherches, passionnantes, exigeantes, pour retracer les origines de cette famille jusqu’aux racines-mêmes du nom. C’est dans ce village, à une dizaine de kilomètres des deux autres, que je suis revenu m’installer avec les miens. Un village qui s’élève à 750 mètres d’altitude au creux de l’étroite vallée du Remontalou. Un village peuplé de 900 âmes célèbre pour sa source, le Par, écumant à 82°C. Un village duquel j’ai pu m’attacher comme il est rare de s’attacher à un village.

"Laissez deviner aux hommes par vos propres exploits qui étaient vos ancêtres"

Parce que j’ai commencé ce récit par un proverbe, je le terminerai par un autre, japonais celui-ci : "Laissez deviner aux hommes par vos propres exploits qui étaient vos ancêtres". C’est l’ambition que je me suis fixé – avant l’Auvergne, avant le tatouage, du plus loin qu’il me souvienne. Par mes actions, par mon engagement, je veux rendre hommage à mes ancêtres et à la région qui fut la leur, leur déclarer mon admiration et mon respect. Aujourd’hui, mes racines sont ancrées dans Chaudes-Aigues, dans Mallet, dans Fridefont, sur les rives du Bès, au cœur du Cantal. Bien malin qui pourra les en arracher.