Motards et studios de tatouage.

Queensland : quand la "croisade" contre les gangs de motards va trop loin

Tribune de Greg Barns

Les "bikie laws", ou lois visant exclusivement les gangs de motard, proposées par le gouvernement de Campbell Newman, Premier ministre de l’Etat australien du Queensland, sont en contradiction radicale avec le principe d’état de droit. Ces projets de lois représentent un véritable danger, écrit Greg Barns. La question posée par l’auteur est la suivante : pourquoi ces propositions de loi se focalisent-elles exclusivement sur les gangs de motards ?

 

Le mardi 15 octobre 2013, le gouvernement de Campbell Newman, à la tête du Parti libéral national du Queensland, a introduit une série de nouvelles lois dans le cadre de sa "croisade" contre les gangs de motards de l’Etat. Des mesures qui feraient assurément passer Vladimir Poutine pour un enfant de chœur.

 

Parce que le gouvernement Newman domine l’Assemblée législative de l'État et que le système australien ne jouit d’aucune institution supérieure pour examiner les projets de lois, on assiste à une résurgence d’une bien sombre image, celle du Queensland synonyme d’Etat répressif, image engendrée par les excès du gouvernement de Joh Bjelke Petersenn il y a 40 ans.

 

Le mardi 15 octobre 2013, le procureur général Jarrod Bleijie a introduit au Parlement une proposition de loi dont le nom n’est pas sans évoquer l’univers de George Orwell : la "Vicious Lawless Association Disestablishment Bill", autrement dit un projet de loi visant à "éliminer les associations brutales et sans foi ni loi"… Pour le gouvernement du Queensland, ledit projet vise à "punir avec la plus grande sévérité les membres d'organisations criminelles qui commettent des infractions graves".

attention mise en danger des studios de tatouages

Légende de la photo : Les propositions de loi contre les gangs de motards formulées par le gouvernement Newman sont en contradiction radicale avec les principes d’une société se réclamant de l’état de droit.

 

Concrètement, le fait d’être associé à un gang de motards et de commettre un crime "dans le cadre de cette association" vous vaudrait d’être rangé(e) dans la catégorie des malfaiteurs "brutaux et sans foi ni loi".

Vous écoperiez alors d’une peine de 15 ans d'emprisonnement ferme, sanction complémentaire à celle prononcée au préalable à votre encontre. Ce n’est pas tout : si vous occupiez une position officielle dans ladite organisation, vous vous exposeriez également à une peine supplémentaire de 10 ans de prison ferme, en sus des 15 ans mentionnés à l’instant.

 

Pas encore convaincu(e) du caractère profondément atroce de cette proposition de loi ? Voici quelques mises en pratique pour dissiper tout doute.

 

Admettons qu’un membre d’un gang de motards vole une voiture. Si le criminel n’avait encore jamais été condamné, il aurait pu écoper de 3 mois d’emprisonnement. Mais avec cette nouvelle loi, le tribunal se verra dans l’obligation de condamner ce criminel sans antécédent à 15 ans d’emprisonnement – au minimum. Pas satisfait(e) de l’exemple du vol de voiture ? Sachez qu’il en ira de même pour la possession de produits stupéfiants. Nul magistrat ni juge ne devraient avoir à participer à de tels simulacres de justice.

 

Oh, j’oubliais : la liberté conditionnelle ne vous serait accordée qu’en échange d’une coopération complète avec la police ! Mais au fait, depuis quand la liberté conditionnelle a-t-elle quoi que ce soit à voir avec une telle mesure ?

 

En plus de la "Vicious Lawless Association Disestablishment Bill", le gouvernement Newman a suggéré la "Tattoo Parlours Bill", autrement dit la proposition de loi sur les salons de tatouage. Avec cette proposition, le Premier ministre souhaite ni plus ni moins faire fermer les studios de tattoo, sous prétexte que les motards utiliseraient ces lieux à des fins criminelles. À l’instar d’autres textes de lois liés au principe de prohibition, le Tattoo Parlours Bill pourrait conduire les représentants des forces de l’ordre à fermer les yeux, en échange d’un pot-de-vin discret.

 

Enfin, une dernière proposition de loi, baptisée "Criminal Law [ou Criminal Gangs Disruption] Amendment Bill", vient parachever ce triste tableau, discriminant à nouveau les membres de gangs de motard en augmentant les peines encourues par ceux d’entre eux qui commettraient certaines infractions.

 

Si un motard est reconnu coupable d’avoir participé à une rixe, il écopera d’une peine de prison ferme de 6 mois, et ce quel que soit le rôle qu’il a joué dans ladite bagarre. Autre exemple : un motard s’exposera à une peine d’un an d’emprisonnement ferme s’il est reconnu coupable d’avoir agressé un officier de police. Mais quid du cas où un officier agresserait lui-même un motard ?

 

Ce projet de loi crée également de nouvelles infractions, passibles d'une peine d'emprisonnement ferme d'un mois : parmi celles-ci, l’interdiction formelle pour les membres d’un gang de motards de se rassembler et de promouvoir leur association ou de recruter pour elle.

 

Où le gouvernement Newman a-t-il prévu d’installer tous ces prisonniers, une fois ceux-là condamnés, vous demandez-vous ? Réponse : dans un centre carcéral réservé exclusivement aux membres de gangs de motards, où les détenus seront enfermés 23 heures sur 24 dans leurs cellules, sans réhabilitation possible.

 

Ces conditions de détention contreviennent ostensiblement aux obligations de l’Australie en matière de Droits de l’Homme. Le pays semble avoir oublié les normes minimales en vigueur concernant le traitement de ses détenus.

 

En outre, les personnes détenues pendant 23 heures par jour dans leurs cellules peuvent présenter de lourdes séquelles physiques et psychologiques. Le gouvernement du Queensland s’expose ainsi – et à juste titre – à une action en Justice intentée à leur encontre par les prisonniers concernés.

 

Je le répète : ces lois représenteraient un véritable danger, en mettant autant à mal le principe même d’état de droit. Quelle est cette fixation faite sur les gangs de motards ? Pourquoi ne pas modifier l’ensemble de la législation – ou, mieux encore, contourner le Parlement en introduisant tout simplement des régulations – pour inclure, tant qu’on y est, les acteurs d’ONG environnementales, les membres de syndicats, les groupes communautaires, ou bien encore les demandeurs d’asile ?

 

D’aucuns argueront que cette idée est tirée par les cheveux. Ils ont tort.

 

Une législation permettant à un gouvernement d'écraser les droits d’un certain groupe de personnes résultera indubitablement en des mesures similaires sur un autre groupe, et ainsi de suite.

 

Dans des pays comme la Malaisie ou Singapour, d’anciennes lois coloniales visant à tempérer les ardeurs indépendantistes de certains autochtones ont été réactualisées par les gouvernements contemporains pour mettre les dirigeants de l’opposition en prison. Autre exemple : au Royaume-Uni, l'ancien gouvernement travailliste de Gordon Brown a utilisé des lois anti-terroristes pour geler les avoirs des banques islandaises, dès le début de la crise financière en 2007.

 

Les propositions de loi contre les gangs de motards formulées par le gouvernement Newman sont en contradiction profonde avec les principes mêmes d’une société se réclamant de l’état de droit : l’impartialité et l’équité.

 

Comme l’a noté Gerard Brennan, Président de la Haute Cour de Justice : "Les sanctions pénales sont infligées par les tribunaux dans le seul et unique but de protéger la société, et certainement pas dans une mesure outrepassant ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif".

 

Condamner quelqu’un à 15 ans d’emprisonnement sous prétexte que cette personne appartenait à un gang de motards au moment des faits, ne répond en rien à cette définition des sanctions pénales.

 

Le Queensland n'a jamais été un bastion de la liberté. Néanmoins, la "croisade" menée par le gouvernement Newman à l’encontre des gangs de motards a pris, le mardi 15 octobre 2013, une tournure des plus sinistres.

 

Au vu des mesures prises par un parlement déraisonnable et de l’attitude de médias fatalistes qui font le dos rond au sein d’un Queensland dont le sobriquet d’"Etat ensoleillé" lui sied bien mal, le seul contrepouvoir capable de s’opposer à de telles lois est la profession juridique. C’est à elle de trouver les moyens de protéger les individus et de les préserver d’un exécutif hors de contrôle.

 

Greg Barns est avocat et porte-parole de l’Alliance australienne des avocats (Australian Lawyers Alliance).

 

Article original

http://mobile.abc.net.au/news/2013-10-16/barns-queensland-bikie-laws/5025742